La Pluie
Par les deux fenêtres qui sont en face de
moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma
droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la
pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi: autour de moi, tout est
lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de
mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu
d’une bulle d’air j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qui tombe,
ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la
terre et descend sur elle serré et bourru, d’une ataque puissante et profonde.
Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée,
la mare! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse: cela est copieux, cela est
satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne
suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés
ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît
noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclenchement
d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume. Cependant la
pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare
un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au
coeur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en base suspendue
par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et
le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je
fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.
Paul
Claudel (1868 - 1955)
image in Google images (15/09/2015)
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